Textes

PORTRAIT

Portrait par écrit par Léo Bioret, critique d’art et commissaire d’exposition, pour le Pôle de Arts Visuels Pays de la Loire en octobre 2018

Militant pour un regain de la peinture dans la diversité de ses expressions, Fred Maillard révèle sa complicité avec l’image, celle qu’il photographie comme prise de notes mais surtout celle qu’il peint.
La peinture est devenue son rapport au monde. Il réfléchit à l’insaisissable du paysage et sa représentation par les images combinatoires, les associations visuelles et les résidus de matière. Il fait la part belle aux zones « aveugles », que l’on a appris à ne pas voir. L’imagerie mentale qu’il produit place le regard sur des évidences nourries de « pourquoi pas ?».

Il parcourt régulièrement les Pays de la Loire où il vit et s’imprègne des expositions et des rencontres artistiques de son territoire. Diplômé des beaux-arts de Paris en 1997, il enseigne depuis 1999 la communication visuelle à l’École de la Nature et du Paysage de Blois.

Marqué par la gazéification de l’art d’Yves Michaux ou bien les solutions plastiques de Marc Desgranchamps il est attiré par les peintres qui fouillent la modernité picturale et interrogent la condition de l’image. « La peinture est irréductible. »

Ce qui l’avive c’est la friction qui émerge des rencontres de la pensée. Il a ainsi imaginé avec Jérôme Barbe et Franck Léonard la plateforme Terrain de Jeux. Depuis un an, une synergie s’est mise en place autour de la discussion : l’exposition, l’édition et les invitations ponctuelles.

Il met en avant un certain déterminisme de conditionnement. « La peinture est un art de l’attention, une intériorité nécessaire à la préparation de l’image. »

Léo Bioret

 
Périurbaine Pastorale

Compte rendu de l’exposition. Périurbaine pastorale à la galerie Tokonoma, Paris (14 novembre – 7 décembre 2019) par Pim Enveert (Felix Giloux).

L’expo « Périurbaine pastorale » s’ouvre ce 14 novembre à la galerie Tokonoma, et présente deux artistes, Fred Maillard et Philippe Caillaud, qui mettent en jeu l’idée de paysage pour la malmener à plusieurs niveaux de sens. Alors que F. Maillard nous offre la vision d’une France périurbaine dans un contrepied moqueur de son image d’Epinal, P. Caillaud enferme notamment le paysage dans son paradigme touristique standardisé, par les calembours visuels de ses « Guides verts obsolètes ».

Emblématique (c’est le cas de le dire) de cette exposition est la série des « 24 Blasons » de Fred Maillard, qui joue d’un décalage entre le texte, l’image et le symbole. Ces trois réalités sont télescopées les unes sur les autres à la surface de ces peintures – exposées en grille – chacune exerçant sur les autres un effet de distorsion. Les vues naturelles esquissées que nous regardons sont tout ce qu’il y a de plus banal et d’insignifiant : des paysages génériques, évidés, simplifiés à l’essentiel, où se mêlent à la nature des traces de civilisation humaine. Des chaises en plastique empilées, une clôture de jardin avec grillage, une barrière au bord de la route, des pavillons de banlieue, etc. D’autre part nous voyons en grand format des noms de provinces françaises, qui font irruption au milieu de ces paysages et modifient la fonction de l’image : tout d’un coup ce paysage anodin est censé incarner le symbole d’une région, ce qui la caractérise et la valorise, puisqu’il s’agit de « blasons ». Ainsi la haute valeur symbolique du blason évoquant la dignité du territoire français, contraste avec la trivialité du paysage qui en est le miroir.

Dans cette esthétique de la déception, chaque élément de l’image vient appauvrir les autres, provoque un court-circuit du message : le paysage vient priver le blason de tout son sens politique et symbolique, le réduisant à un simple slogan publicitaire. Le nom propre, quant à lui, ne fait que renvoyer à son inanité même, à l’absurdité qu’il y aurait à tenter seulement de penser la gloire d’une francéité, dont nous ne pouvons que constater l’image dérisoire et ironique sous nos yeux. Cette série des 24 blasons cherche à réduire la capacité de séduction de l’art jusqu’à un point de dissolution(*), un vanishing point, comme le disait le critique Harold Rosenberg dans les années 70 à propos de tendances manifestant une pauvreté dans l’esthétisation de l’objet.

Nous retrouvons ce goût pour le banal et l’anecdotique dans les séries de Philippe Caillaud exposées ici, « Guides Verts » et « Incendies ». Dans la première toute référence au territoire naturel est aseptisée et standardisée dans des « guides obsolètes » pour touristes, exposés uniformément là encore selon le mode de la grille, sur lesquels l’idée de paysage est évoquée par des esquisses humoristiques, rappelant le dessin animé pour enfants, accompagnées de titres moqueurs. Des lieux qui ont tous en commun le fait d’être inaccessibles, paradoxaux et qui sont simplement les pièges de nos jeux de langage. Dans la seconde série le thème de la catastrophe naturelle est dépourvu de toute emphase car transformé en un simple geste décoratif, dessiné format réduit sur des boîtes d’allumettes – gadgets que l’on peut trouver dans les boutiques de souvenirs – elles-mêmes disposées dans un mode sériel et répétitif. Dans les deux cas la référence à la nature est prise dans ce même processus de dé-esthétisation(*) (Rosenberg) où le geste conceptuel de l’artiste, c’est-à-dire la mise en scène sérielle et minimale, vient presque effacer la valeur figurative des illustrations.

(*) Harold Rosenberg, De-Aestheticization, 1970

Pim Enveert (Felix Giloux)

NOTICE

Notice rédigée par Patrick Bazin, scénariste et éditeur, pour l’introduction de l’exposition au domaine Frédéric Mabileau, à St Nicolas de Bourgueil, .

La peinture de Fred Maillard est toujours le fait de collisions improbables : celles d’univers si distants que toute rencontre nous semble impossible. Fred Maillard relie, fait la synthèse de ces réalités qui nous échappent. Il n’y a pas que la ville ou la campagne. Il existe aussi des lieux où coexistent la ville et la campagne, le monde du travail et le monde des loisirs, la technologie et l’archaïsme. Ces univers, habités de signes, d’hommes, d’objets s’interpénètrent les uns les autres dans des frontières que nos esprits peinent à se représenter. Il est vrai qu’ils se dégradent, perdent de leur magnificence lorsqu’ils sont en contact. Les abords des villes ne sont jamais séduisants…. Le mystère des titres donnés à chacune des œuvres nous aide à mettre de côté les images cellophanées que l’esprit attribue automatiquement aux éléments picturaux. Le trader, la campagne, l’astronaute ou la charte graphique d’un office de tourisme régional se dissolvent pour mieux recomposer l’univers dans lequel chacun perd son sens et sa nécessité. Cet univers, « Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, — Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! puisque c’est le nôtre ».

Patrick Bazin